Lors d’une procédure de divorce, des mesures provisoires sont retranscrites dans l’ordonnance de non-conciliation par le Juge des Affaires Familiales (JAF). Cette ordonnance de non-conciliation a pour but d’organiser la vie familiale pendant toute la procédure de divorce. Bien évidemment, tout au long de cette procédure le divorce n’est pas acté et n’a pas encore été prononcé, de fait le régime matrimonial n’est pas encore liquidé. Ces mesures provisoires, ordonnées par le JAF, peuvent avoir de lourdes conséquences, notamment si l’un des époux est un entrepreneur individuel.
Le domicile conjugal sera attribué à l’un ou à l’autre des époux. Celui à qui il sera attribué en aura la jouissance exclusive. Ainsi, une affaire jugée en première instance par la Cour d’appel de Lyon est venue poser le principe de saisissabilité sur la résidence attribuée au conjoint de l’entrepreneur. Est-ce que les créanciers professionnels peuvent saisir cette résidence ? Est-ce que la notion de jouissance exclusive à l’autre conjoint rend saisissable la résidence ?
La jouissance exclusive du bien et perte du droit d’insaisissabilité
La notion d’insaisissabilité de la résidence principale est introduite par l’article L526-1 du Code de commerce. Avant la création du statut unique mis en place par la Loi Indépendant, le seul bien qui bénéficiait d’une insaisissabilité de plein droit était la résidence principale du travailleur non salarié. Bien évidemment, dans le cas présent, on parle d’un bien immobilier dont les époux sont propriétaires conjointement ou même en tant que bien propre de l’entrepreneur.
Lors de la première étape d’un divorce, le JAF va octroyer à l’un ou à l’autre des époux la jouissance exclusive de cette résidence. Il est tout à fait possible que le juge octroie ce droit à un conjoint, et ce, même s’il s’agit d’un bien propre appartenant à l’autre conjoint. Dans une affaire jugée par la Cour d’appel de Lyon, le liquidateur d’un entrepreneur, mis en redressement puis liquidation judiciaire, demande à pouvoir saisir la résidence qui avait été attribuée en jouissance exclusive au conjoint de l’entrepreneur, par motif que ce logement ne constitue plus la résidence principale de l’entrepreneur. La demande avait alors été jugée irrecevable avant que cet arrêt ne soit cassé et annulé devant la Cour de cassation.
Un arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2022
La Cour de cassation a rendu une décision totalement différente en considérant que la Cour d’appel de Lyon n’avait pas respecté l’article L526-1 du Code de commerce. Le fait que la résidence conjugale soit attribuée en jouissance exclusive au conjoint de l’entrepreneur, entraîne de fait que l’entrepreneur est autorisé à quitter ce domicile qui par conséquent n’est plus sa résidence principale. Ce bien immobilier devient de fait saisissable par les créanciers professionnels de cet entrepreneur.
La Cour de cassation pose tout de même un principe évident de temporalité et indique que l’ordonnance de non-conciliation a été rendue avant le début de la procédure de liquidation. De fait, lors de la mise en liquidation de l’entrepreneur, celui-ci n’avait déjà plus comme résidence principale ce qui avait été pendant des années le domicile familial. La Cour laisse, de fait, entendre que dans la situation où la procédure de redressement est antérieure à l’ordonnance attribuant la jouissance exclusive à l’autre conjoint, la résidence resterait un bien insaisissable.